Une douce chaleur émane du feu de cheminée et enveloppe la pièce lorsque les premiers convives poussent la porte de l’Épicurie, à Suchy. Il est à peine midi, mais une longue table est dressée : assiettes alignées, couverts brillants, paniers de pains posés çà et là. On entend déjà un bourdonnement de conversations, de petites discussions s’entrecroisent et on salue les derniers arrivants.

Les deux organisateurs, Pierre Pittet et Alain Jutzeler, offrent des canapés à la truffe et servent du bon vin à qui en veut bien. Ils disparaissent assez rapidement dans la cuisine pour s’activer sur le menu du jour : un papet vaudois, généreux et fumant. Lorsque tout le monde est enfin rassemblé autour de la table, le syndic Thierry Herman prend la parole. Les conversations s’apaisent et les regards se tournent vers lui. Il prononce quelques mots de bienvenue, un court discours pour saluer cette initiative et les personnes qui y participent : « Ça me fait réellement chaud au cœur de voir une telle initiative prendre vie ici. C’est émouvant de constater que des liens se resserrent entre les anciennes générations, surtout pour celles et ceux qui se retrouvent trop souvent seuls chez eux. Pour moi, c’est essentiel de garder un village connecté et attentif à sa communauté : aujourd’hui, on en a une belle preuve. »

À mesurent que les plats mijotent, on sent l’atmosphère se détendre encore davantage. Certains invités s’attardent près de la cheminée, d’autres prennent déjà place et partagent quelques anecdotes. Le repas semble offrir une parenthèse bienvenue dans une routine parfois un peu silencieuse.

“Ce genre d’évènement devient important”

« J’ai trouvé l’invitation d’Alain et Pierre très sympathique, ils ont toujours d’excellentes idées », confie Jean-Néville Dubuis, metteur en scène et secrétaire générale de Suchy. « Je fais partie des privilégiés qui sont bien entourés, mais le village a quand même changé. Ça fait trente-huit ans que je suis installé ici, et le nombre d’habitants a presque triplé… forcément, on ne se dit plus tous bonjour dans la rue. Ce genre d’événement devient important. »

Un peu plus loin autour de la table, Marlyse Stehlé, ancienne municipale, observe la salle avec un sourire attendri. « C’est une initiative formidable, et en plus je connais encore beaucoup de monde ici… mais je dois dire qu’il y a aussi des visages que je ne reconnais plus à Suchy », confie-t-elle. Elle raconte, amusée, comment lors de la dernière Abbaye elle se retrouvait à saluer des personnes qui l’interpellaient sans qu’elle sache toujours d’où elles venaient. « Alors je demandais : “Et vous, vous habitez où ? Qui êtes-vous ?” Je suis très curieuse », dit-elle en riant. Avant d’ajouter, plus sérieuse : « C’est le plus beau village du Nord vaudois, vraiment. »

À ses côtés, une autre convive acquiesce. Ancienne institutrice, installée à Suchy depuis soixante-quatre ans, elle se rappelle encore l’accueil chaleureux que lui avaient réservé ses élèves à son arrivée. « C’est grâce à eux que j’ai fait toute ma carrière ici. », raconte-t-elle. Elle aussi a été municipale, et elle aussi vit désormais seule. Ce repas, elle l’a vu comme une occasion à ne pas manquer. « On a beau dire que nous sommes un village, on vit un peu chacun dans notre coin, ou dans notre quartier. On se voit au magasin, mais plus rien ne nous relie vraiment. Avant, il y avait la société de chant, mais elle n’existe plus… » Son regard se trouble un instant : « Quand on a été prof et qu’on connaissait tout le monde, c’est un choc de se retrouver un peu plus isolée au sein du village. »

Marlyse renchérit doucement : « Et puis, on a parfois peur de déranger. Aller chez les gens, ce n’est plus aussi spontané qu’avant. On peut se sentir comme des intruses… Alors vraiment, cette initiative est magnifique. »

C’est à ce moment que la voix des organisateurs retentit : le repas est servi, il est temps de passer à table. Les conversations se suspendent, puis reprennent autour des assiettes généreuses. Les rires se mêlent à la bonne odeur du papet vaudois qui se dégage des plats. Très vite, l’ambiance s’anime : entre deux bouchées, on échange déjà des idées pour la suite du projet, des suggestions de menus, des envies de rencontres futures. On sent que les convives ne veulent pas que cette belle énergie s’arrête là.

 

There are no comments yet.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked (*).

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.