Portrait sécheron (n°3)

Le portrait suivant, signé Dani Dernari, fait partie d’une série inaugurée par la nouvelle aubergiste puis par le biologiste à l’origine des parcs à bisons. L’idée est de présenter, à intervalles réguliers, des personnes qui font l’épaisseur, l’histoire ou la couleur de notre commune, quel que soient le rôle public, le rayonnement hors localité, l’actualité concernée. Une commune, c’est certes des limites administratives et cadastrales, des règlements, des taxes et des impôts, mais c’est avant tout des personnes, des rencontres, de l’humain. TH 

Stéphane Deytard est né les deux pieds dans la terre, au cœur d’une famille d’agriculteurs. Il reprend rapidement un petit domaine, poursuivant naturellement la voie tracée. Lors de ses débuts, il pratique l’agriculture telle qu’il l’avait apprise à l’école : engrais, insecticides, fongicides, pesticides. Tout ce qu’il y a de plus conventionnel. Mais, en parallèle de ce travail aux champs, un autre univers s’ouvrait à lui. Curieux de nature et sensible au bien-être, il s’est intéressé aux thérapies naturelles et alternatives. Il explore alors cette autre manière de prendre soin du vivant. Sa passion l’a mené plus loin encore : des cours d’anatomie et de physiologie lui ont permis d’approfondir sa compréhension de l’organisme humain.

C’est là qu’un déclic s’est produit. En étudiant le corps et ses mécanismes, Stéphane a commencé à tracer des ponts entre ses deux mondes : l’agriculture et le soin. Les sols, les plantes, les hommes : tout lui paraissait lié. Cette prise de conscience l’a ramené à l’essentiel, à la nature, et l’a poussé à transformer sa manière de cultiver. Il y a une quinzaine d’années, il s’est engagé dans l’agriculture biologique. Puis, en 2020, il franchit une étape supplémentaire en se tournant vers l’agriculture régénérative. Cette évolution ne s’est pas faite d’un coup. Elle est le fruit d’une remise en question profonde. Stéphane s’est mis à douter de la pertinence de l’agriculture qu’il avait toujours pratiquée. Pourquoi fallait-il traiter les terres ? Pourquoi fallait-il toujours ajouter de l’engrais ? Ces questions l’ont poussé à se former intensivement : biologie des sols, fonctionnement des plantes, cycles naturels.

Très vite, il a compris que même l’agriculture biologique, à laquelle il avait pourtant adhéré avec conviction, ne détenait pas toutes les réponses. « On peut aussi détruire un sol en bio », reconnaît-il. Certes, ce n’est pas la norme, mais c’est possible.

L’agriculture régénérative est alors apparue comme une réponse. Stéphane avait vu ses terres s’appauvrir, perdre de leur vitalité. Pour un agriculteur, admettre cela est une épreuve difficile, presque une blessure. Mais en se tournant vers ces nouvelles pratiques, il a retrouvé une perspective. Les sols se sont rééquilibrés, la vie y a repris sa place, et avec elle une nouvelle énergie. Par ailleurs, il n’est plus seul dans cette aventure. Son fils le rejoint, et pour Stéphane, c’est une source de bonheur immense : « Je n’exploite pas une ressource, dit-il, je l’améliore. » Sa terre, il ne la considère pas comme un bien à user, mais comme un outil vivant qu’il perfectionne année après année. Son approche est devenue globale, presque holistique : respect du cycle naturel, attention portée à chaque interaction, recherche d’équilibre plutôt que de rendement à tout prix. Et dans cette relation nouvelle avec la terre, Stéphane a trouvé ce qu’il cherchait depuis longtemps : une passion qui nourrit autant l’esprit que le sol.

Aujourd’hui, Stéphane Deytard est devenu une référence en matière d’agriculture régénérative en Suisse romande. Responsable régional, il accompagne d’autres agriculteurs curieux de franchir le pas. À travers une association nationale, dont il est le seul représentant romand, il participe à un réseau vivant : formations partagées, visioconférences, interventions de spécialistes et de scientifiques. Un véritable lieu d’échange et de soutien, indispensable pour ceux qui se lancent dans une démarche aussi exigeante. Stéphane insiste sur un point essentiel : le sol a de l’inertie. Quand on entame une transition régénérative, les résultats ne se voient pas immédiatement. Il faut parfois plusieurs années avant qu’un champ ne retrouve toute sa vitalité. Pendant ce temps, il faut investir du temps, de l’argent et beaucoup d’énergie. « Le sol doit se rééquilibrer, et ça demande de la patience », explique-t-il.

Ce qui frappe chez Stéphane Deytard, c’est cette curiosité insatiable, cet étonnement face au monde qui, selon la philosophie, est à l’origine de toute connaissance. Sa soif d’apprendre l’a mené dans les formations les plus pointues sur la biologie des sols et des plantes. Mais à force d’être toujours dans l’action, il a fini par s’épuiser. « Je me suis rendu compte que je me mettais de côté », confie-t-il. C’est alors qu’il a retrouvé une autre facette de lui-même : son goût pour la méditation, la thérapie, le développement personnel, toujours en lien avec la nature.

Ce recentrement a été décisif. Stéphane a compris qu’il ne pouvait soigner la terre que s’il allait bien lui-même. La frontière entre l’homme et la nature, à ses yeux, est illusoire : « Nous constituons la nature, et la nature nous constitue. Nous dépendons des céréales que nous mangeons, de la photosynthèse… » Cette conviction le guide dans toutes ses démarches. Il suit son intuition, persuadé que la cohérence entre sa santé et celle de ses terres est la clé : « Si je donne une formation sur l’agriculture régénérative, dit-il, je parlerai aussi de notre relation à la nature. Sinon, je ne donnerai qu’une demi-réponse. »

Optimiste, il croit en la force de l’entraide et du collectif. « On n’y arrivera jamais tout seul. » Son message s’adresse surtout à la nouvelle génération d’agriculteurs : se valoriser, prendre conscience de leur rôle central. Non pas se voir « en bas de l’échelle », mais au contraire comprendre que l’agriculture porte en elle des missions essentielles : nourrir la population, préserver la qualité de l’air et de l’eau, répondre aux enjeux climatiques, préparer l’avenir. Avec sérénité, Stéphane Deytard rappelle ainsi que l’agriculture n’est pas seulement un métier : c’est une responsabilité envers le vivant et une promesse faite aux générations futures.

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