La cellule d’élevage de bisons d’Europe, gérée par l’Association des bisons d’Europe de la forêt de Suchy, a récemment enregistré deux naissances inattendues. Une petite femelle a vu le jour le 29 mai, suivie d’un mâle le 1ᵉʳ juin. L’annonce de cette double naissance est l’occasion d’une rencontre avec Alain Maibach, biologiste en chef de la cellule, et Kevin Mercier, gardien d’animaux. Tous deux ont accepté de répondre à quelques questions sur le fonctionnement de l’association (ABEFS) et reviennent sur le cadre historique de cette expérience inédite en Suisse. Entre naissances inattendues et défis à surmonter, éclairage sur un travail discret mais essentiel.

En quoi consistent vos rôles respectifs au sein de l’association ? Pouvez-vous clarifier le fonctionnement de cette cellule de conservation des bisons d’Europe ?

A. Maibach : « Kevin Mercier est le gardien d’animaux. Il est chargé d’assurer le suivi quotidien des bisons. Ils veillent à leur bien-être, à leur bonne alimentation et surveille leur état de santé. Il intervient également pour gérer les interactions avec le milieu naturel et la sécurité des animaux. Quant à moi, je suis le biologiste ou ce qu’on appelle le référent scientifique, bien que ce soit un peu pompeux. En parallèle, il existe un comité regroupant plusieurs membres clés et coordonnant la gestion de l’association. Morgane Rey, une vétérinaire tout à fait essentielle à notre activité, y est rattachée. Son aide est centrale dans la lutte contre les nombreuses maladies bovines ainsi que quant aux difficultés auquel la cellule doit faire face. L’association dépend aussi de plusieurs sponsors, dont une régie immobilière qui participe de manière significative au fonctionnement de la cellule. Le renouvellement de l’appel d’offre est cela dit à prévoir. Nous allons devoir nous montrer particulièrement convaincants pour obtenir les financements nécessaires. »

Pouvez-vous revenir sur l’historique du bison d’Europe et expliquer pourquoi sa conservation et votre association est aujourd’hui nécessaire ?

A. Maibach : « Le bison d’Europe est une espèce qui fait partie du catalogue de l’union internationale pour la conservation de la nature. Notre association est répondante du groupe de protection des bisons européens qui en découle. Nous sommes également rattachés à un deuxième groupe états-unien. Quoi qu’on en dise, le bison américain est également menacé au vu de son contenu génétique faible. Néanmoins, en Europe, c’est pire que tout. La plupart des bisons étaient dans des énormes propriétés royales ou princières dans l’ex-empire austro-hongrois avant la première guerre mondiale. Une autre partie était en Russie. Ces animaux étaient là pour la chasse uniquement. Une ou deux fois par année, on s’invitait entre personnes de bonne compagnie pour aller les chasser. Ce système a perduré assez longtemps.

Puis, est arrivée la Première guerre mondiale. À ce moment-là, les gens avaient très faim. Les bisons ont donc été beaucoup tués également de cette manière. Ils faisaient d’une pierre deux coups en se nourrissant et en faisant affront à la royauté. Finalement, un groupe de scientifiques s’est aperçu qu’il n’existait plus de bisons d’Europe en liberté. C’est ainsi qu’ils décidèrent de contacter tous les zoos et les cirques possibles pour en rassembler le maximum à Berlin. Parmi ces bisons, seulement 12 d’entre eux ont pu se reproduire. Les autres étaient si mal en point, à cause de la sédation notamment, que cela leur était impossible. L’activité de la cellule est donc cruciale pour la prospérité de l’espèce et son enrichissement génétique. Tout est dès lors très règlementé. Chaque individu possède un numéro puis est classifié de manière rigoureuse, de sorte à connaître précisément les arbres généalogiques et établir des statistiques quant à la fertilité ou à d’autres paramètres en lien avec la génétique comme l’équilibre entre les naissances de mâles et de femelles. »

Pourquoi avoir choisi Suchy afin d’y placer ces bisons ? Est-ce que la forêt ici présente des avantages particuliers ?

A. Maibach : « L’idée de départ vient de Michel Mercier, le gardien forestier honoraire. Un jour dont je me souviens très bien, il m’a proposé d’amener des bisons d’Europe en forêt de Suchy. Il était responsable de la gestion de ces espaces. La forêt présente en effet l’avantage d’être peu morcelée à la fois d’un point de vue spatial et en termes de propriétés. Généralement, pour 800 hectares, il y a au moins 200 voire 300 propriétaires différents. Cela rend un projet tel qu’une cellule de conservation très difficile. Retrouver tous les détenteurs de ces terres et faire passer une convention, c’est mission impossible. Par ailleurs, même dans ce cadre avantageux, ce n’était pas une mince affaire que de trouver un accord commun. La cellule a suscité beaucoup d’opposition. Des exemples de clôture que l’on avait posés se sont même fait détruire à l’époque. Ça nous a pris 12 ans pour finaliser le projet. Cela dit, on observe une tendance des opposants à changer d’avis progressivement. Les gens sont désormais plutôt contents du résultat. On est aussi très reconnaissants des municipaux qui faisaient partie du comité et qui ont tiré le projet vers l’avant. Sans eux, je pense qu’on aurait pu l’oublier. »

Comment avez-vous vécu ces deux naissances récentes presque inattendues ? Comment se portent les deux petits ?

K. Mercier : « L’une d’entre elles était complétement inattendue. En ce qui concerne la deuxième naissance, on était mitigés, mais on avait repéré des signes précurseurs d’une grossesse. Il ne faut cela dit ne pas oublier que ce sont des animaux sauvages qui cachent énormément leur gestation. Ça s’apparente à un moyen de survie pour eux, un instinct naturel. Sultane, l’une des mères, s’est du jour au lendemain isolée du troupeau. On pensait que quelque chose n’allait pas. Lorsqu’on est venu l’examiner le lendemain, la petite était là. C’était une belle surprise. En ce qui concerne la santé des petits, les mises bas semblent s’être déroulées sans encombre particulière. On n’y assiste généralement pas, car c’est très souvent la nuit que ça se passe. Maintenant, il ne faut pas oublier que la nature est imprévisible. Le taux de mortalité chez les bébés bisons, surtout les mâles, est relativement élevé. Selon moi, il faut attendre au moins les 3 à 4 mois pour que les doutes s’estompent vraiment. »

A. Maibach : « C’est un sujet revenant constamment dans nos discussions : comment on communique ? Pour cette double naissance, nous avons attendu un certain temps avant l’annonce officielle. Les gens ont du mal à s’imaginer que des petits animaux puissent mourir. En Occident, la majorité des personnes ne vivent plus du tout en cohérence avec la nature. On oublie comment elle fonctionne réellement. »

Comment expliquer les nombreuses maladies bovines auxquelles la cellule doit faire face ?

A. Maibach : « Ces maladies sont d’origine naturelle. D’ailleurs, elles sont tout à fait connues. Lorsqu’un paysan me contacte, car ils suspectent une pathologie chez son animal, il suffit de faire un diagnostic et d’administrer un antibiotique par exemple. Il est également notoire de dire qu’entre un paysan et la cellule de conservation, les logiques sont très différentes. Le paysan se situe dans un calcul en faveur de ses profits. Si la prise en charge d’une bête malade est trop couteuse et pas rentable, on préfère l’euthanasier. Nous ne sommes pas dans cette même logique productive. »

K. Mercier : « En plus, approcher les bêtes pour les soigner est une tout autre histoire. Imaginons que l’on doive appliquer une pommade dans les yeux d’un bison, c’est complétement différent que de le faire avec une vache. D’ailleurs, je me suis fait charger l’autre jour par un des bisons. Heureusement pour moi, je cours assez vite et je n’ai pas été blessé. Ça reste dangereux. Malgré tout, on est extrêmement chanceux d’avoir à nos côtés notre vétérinaire. En plus de son aide précieuse pour la lutte contre ces maladies bovines, elle ne facture presque aucune intervention. En tant que gardien des animaux, je suis le seul à être réellement payé. Cette cellule est l’œuvre de beaucoup de passionnés. »

A. Maibach : « D’ailleurs, je n’ose pas imaginer les heures non payées que Kevin cumule. Il faut quand même dire que lui aussi fait beaucoup de bénévolat ! »

À quels types de difficultés la cellule doit-elle encore faire face ?

A. Maibach : « Il est vrai que les maladies bovines se présentent comme des défis importants. Mais avant tout, il ne faut pas occulter les difficultés financières concernant l’association et la cellule de conservation. N’oublions pas que l’on vit de nos dons. Malheureusement nous ne touchons rien de l’État pour le moment. Je ne suis pas responsable de cela, mais clairement c’est le nerf de la guerre. Pour l’instant, on a toujours réussi à récolter l’argent nécessaire pour les infrastructures de la cellule par exemple. Il faut espérer que cela puisse continuer. Ensuite, il est également question de consanguinité. En effet, nous n’avons qu’un mâle reproducteur au sein de notre troupeau de bisons. Il s’agira donc d’éviter que le père se reproduise avec sa fille, soit un des nouveaux petits bisons tout juste nés. L’idée serait en conséquence d’exporter. Nous avons pris contact avec l’organisme polonais de protection des bisons d’Europe. Mais nous nous trouvons un peu dans un silence coupable. On s’aperçoit en fait qu’il commence à y avoir trop de bisons et que l’on ne sait plus où les mettre. Par exemple dans nos parcs, ici même, la capacité de charge est déjà atteinte. On doit aussi s’assurer que la faune et la flore résident intactes. On prend plusieurs mesures à cet égard mais dernièrement on a observé une accumulation de sangliers se réfugiant au sein de la cellule, hors des lignes de tirs des chasseurs, occasionnant beaucoup de dégâts dans le parc. Il faut donc que l’on trouve des solutions par rapport à cette problématique aussi. »

Comment peut-on faire si nous voulons soutenir l’association ?

A. Maibach : « En plus, des membres qui paient une cotisation et des sponsors, il est également possible de faire librement des dons si l’on apprécie le projet. C’est très important pour la cellule et c’est comme cela qu’elle peut survivre comme je l’ai dit tout à l’heure. Par ailleurs, le choix des noms des nouveaux nés se fait également de cette manière. L’idée c’est que l’on donne le choix du prénom à la personne ou l’entité qui nous donne la location de naissance. Elle est de 1500 francs avec l’AVS. La commune de Suchy nous a par exemple sponsorisé pour notre bison « Suchy I ». L’union sportive yverdonnoise nous avait financé de la même manière et avait choisi le nom Susy. Il y avait aussi la Régie Braun pour notre Sultane. Finalement il y a plusieurs moyens de nous soutenir, mais vous pouvez simplement venir visiter les parcs. Si je suis présent, je me ferai un plaisir de vous expliquer tout ce qu’il y à savoir ! »

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